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Cameroun : émouvant témoignage d’un détenu du MRC, conscient qu’il sera condamné très bientôt à vie (ou à mort)

Je m'appelle Christian Marcel Moumeni, Camerounais âgé de 35 ans, père de trois enfants. Je suis candidat à la peine de mort ou peine à perpétuité suivant un décret à intervenir de M. Paul Biya.

Et pourquoi le suis-je?

Banquier de profession, et notamment Chef de Département en charge du Recouvrement auprès d'une banque locale, j'ai été arrêté le 28 janvier de l'année courante à Douala alors que j'y étais de passage pour la région du Sud-Ouest où je me rendais pour une mission professionnelle.

Le 27 janvier 2019, je suis parti de Yaounde, ville où je résidais seulement depuis trois mois parce que mon boulot m'y oblige. Ma famille étant restée à Douala en attendant la fin de l'année scolaire d'alors pour me rejoindre. Parti de Yaounde ce matin du 27 janvier, disais-je pour me rendre dans le Sud-ouest alors que j'étais porteur d'un message de réconfort de mon Directeur Général à l'endroit de mes collègues de cette région en proie à la guerre (je compatis aux douleurs et restrictions que vivent toutes les populations des régions anglophones du pays en passant), j'ai fait escale chez moi à Douala pour prendre dans mes bras mon troisième fils Christ Evrard, né trois jours avant, notamment le 24 du mois de janvier. Qu'il me manque tellement le petit! Lundi, 28 janvier 2019 était donc jour du déplacement sur Buea première étape de ma mission. Seulement, en raison des ''Gost Town'' qui ont cours dans les villes des régions anglophones du pays, mon collègue en mission avec moi, convenions d'ajourner pour le jour suivant notre déplacement.

C'est ainsi que nous préférions travailler ce jour là avec nos collègues de la ville de Douala. Revenu chez moi aux environs de 16h30 ce jour, j'appris par le biais d'un ami d'enfance et frère qui croupit avec moi en prison, que le Professeur Maurice Kamto est de passage à Douala et séjourne à l'occasion chez l'honorable Albert Dzongang, ex-député du RDPC. Militant du MRC que je suis depuis trois ans et fervent admirateur du professeur Maurice Kamto, quoi de plus normal que de me rendre au domicile de sieur Dzongang Albert dans l'espoir d'avoir un entretien avec mon président éventuellement? M'y trouvant, alors que d'autres personnes m'ayant précédé sur les lieux nourrissaient le même espoir que moi, attendaient dans la cour de cette somptueuse demeure.

Sauf que curieusement, vers les environs de 20h, une escouade d'hommes et de femmes en tenue des forces de l'ordre pour certains et en tenue de ville pour d'autres, fit son entrée brutale dans la concession après plusieurs minutes de concertation devant l'immeuble. Il faut noter qu'à mon arrivée, les éléments des forces de l'ordre y campaient déjà mais ils ne nous avaient guère refusé d'entrer. Ce qui laissait croire que leur présence sur les lieux n'avait rien de dissuasif. Au contraire, tout laissait penser à un protocole militaire dû à Maurice Kamto.

Avec une brutalité inouïe, nous fûmes dépossédés de nos téléphones et pièces d'identité avant d'être sommés et contraints de quitter nos sièges pour nous asseoir par terre, les mains sur la tête. S'en suivit l'épisode d'insultes les plus grossières et menaces de toute sorte y compris d'assassinat, ce devant notre silence ferme et toute notre coopération. Nous sommes ensuite conduits tels des brigands pris en flagrant délit de braquage, entassés comme dans une boîte de conserve dans des véhicules de la police et de la gendarmerie nationale, vers une destination qui s'avère plus tard être la Direction Régionale de la Police Judiciaire du Littoral. Là-bas, nous assistons, médusés à une série de formalités dont seuls les éléments qui y procédaient en savent l'utilité.

Sommés tantôt de se tenir debout, tantôt de s'asseoir à même le sol, nous ne subissions que d'actes dégradants, insultes et menaces à n'en point finir jusqu'à ce qu'un véhicule se gare autour de minuit passé pour nous transporter vers une destination que nous ingnorions. Inutile de revenir sur les conditions inhumaines de voyage au cours duquel nous avions frôlé la mort. Nous arrivions à <> vers 05h45 minutes.

Cette destination s'avère être le camp militaire du Groupement Spécial d'Opérations (GSO). Nous y passions 17 jours sans voir la lumière du jour. Ce n'est que 72h après que nous buvions de l'eau, mangions un sandwich et prenions le premier bain. Cinq jours plus tard, une équipe d'OPJ (Officiers de la Police Judiciaire) vient à nous pour enfin nous dire que nous sommes interpellés pour avoir fait de l'insurrection, hostilité à la patrie, rébellion en groupe et autres. Nous faisions alors des dépositions dans le cadre d'une enquête préliminaire.

Lors d'une visite éclaire et longuement négociée de mes collègues au GSO, j'apprends que mon employeur, informé de mon interpellation, a aussitôt constitué un avocat pour ma défense et qui lui a été répliqué que cela ne servait à rien puisque je suis dans une affaire d'État très complexe. Je salue au passage mon employeur et mes collègues qui n'ont cessé de me témoigner à divers égards leur solidarité. Je leurs en sais gré.

Le 12 février, nous sommes appelés à l'extérieur de notre cellule souterraine pour être notifié de la cessation de la garde à vue administrative précédemment arrêtée par le Préfet du Mfoundi (nous ignorions jusqu'à ce jour que en vertu de quoi nous étions séquestrés). La joie fût très courte car nous serions déférés plus tard devant le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal Militaire de Yaounde. Nous fûmes alors inculpés des infractions citées ci-dessus avant d'être écroués subséquemment à la prison centrale de Kondengui. Sept mois déjà que j'y suis, j'apprends que malgré la récusation de la compétence matérielle et légale du Tribunal Militaire, j'y serai jugé en compagnie de mes camarades d'infortune. Le procès est annoncé pour être ouvert le 06 septembre prochain. Je cours, au regard des inculpations mises à ma charge, la peine à perpétuité, voire la peine de mort. Mes avocats ont abondamment plaidé pour que je sois jugé (si vraiment besoin s'en faut) devant une juridiction civile conformément aux conventions internationales dûment ratifiées par le Cameroun et la constitution de la République.

À la suite de mes conseils, je continue de dire que je ne suis pas militaire et ne saurait être jugé par les magistrats militaires et selon le code d'instruction militaire. Bien plus, je n'ai jamais porté une arme, ni posé un acte qui oblige l'utilisation d'une arme.

Le procès qui s'ouvre dans quelques jours ne me concerne donc pas, ni plus, ni moins. Ce procès ou ce qu'il en tiendra lieu ainsi que toutes les procédures qui l'ont précédé, sont l'expression, s'il en fallait encore rappeler, de la violation de mes droits fondamentaux. C'est en somme le procès de mon appartenance au MRC, parti politique au demeurant autorisé à exercer ses activités statutaires. C'est le procès de neutralisation absolue d'un soutien fidèle du Professeur Maurice Kamto. C'est le procès de ma liberté politique et d'opinion au grand dame des lois de 1990 et de la déclaration universelle des droits de l'Homme de l'ONU et autres textes connexes. C'est le procès d'une jeunesse brillante qui contribue au financement des politiques publiques par le paiement d'impôts sur ses revenus.

C'est le procès qui vise la cassure d'une famille bien constituée et d'une ambition professionnelle affichée. C'est enfin le procès de la dictature en un mot comme en plusieurs. Un autre Cameroun est possible. Il suffit d'afficher sa sérénité qui est celle d'une victime du chantage et lâcheté d'un gouvernement incapable de dialoguer avec ses sujets, incapable de leurs donner la paix, le travail, des soins de santé, de l'eau, de l'électricité, des routes, des écoles. Face à tout cela donc, la Résistance demeure le seul leitmotiv. Alors je résiste et je résisterai encore. Vive le Cameroun libre! Christian

Marcel Moumeni,

Prison centrale de Yaounde

30/08/2019