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Cameroun-Crise anglophone : Je reviens de Kumba

L

udovic Lado, Jésuite.

 
« Dieu écrit droit avec des lignes courbes », il semble! Toujours est-il que l’une de ses lignes courbes dessinée par Covid-19 m’a conduit, ces jours-ci, à Kumba, pour la bonne cause. J’en ai profité, au détour de maintes conversations,  pour prendre le pool de la résistance anglophone dont Kumba et les environs restent l’un des principaux fiefs dans la Région du Sud-Ouest. L’impression générale qui se dégage de mon séjour est que si la résistance anglophone est loin d’être terminée, elle est aujourd’hui minée, voir affaiblie, par des poches d’ensauvagement alimentées par une économie de la guerre qui bénéficie autant à la galaxie ambazonienne qu’à certains barons des forces de sécurité nationale qui font la loi sur le terrain.  En effet, les populations ont aujourd’hui le sentiment d’être pris entre le marteau des détachements de l’armée nationale et l’enclume des Ambazoniens (« the boys » comme on les appelle couramment là-bas) désormais rompus à l’économie de guerre. Ces groupes d’intérêts ont donc tout intérêt à ce que la crise se poursuive, bien sûr aux dépens des populations locales (surtout les femmes et les enfants) condamnées à la survie dans un contexte où on marche constamment sur la corde raide. Perdre la vie dans ces zones est devenu banal.  
 
Mon voyage jusqu’à Kumba s’est fait sans heurts. Par deux fois, à des postes de contrôle marqués par une présence militaire ou policière,  nous sommes descendus du véhicule pour laver les mains et traverser à pied. La présentation de la carte d’identité n’a été requise qu’au second poste. Notre chef de bord, « anglophone », m’a fait la faveur de me briefer durant le trajet sur la situation actuelle. D’après lui, il y a un semblant d’apaisement sur les voies principales.  En effet, jusqu’à Buea, tout semble normal. Mais après, Buea, commence le front, particulièrement à Ekona dans la zone de Muyuka, qui garde l’apparence d’une ville fantôme, malgré quelques maigres signes de retour à la vie. On peut être pris entre deux feux à tout moment.  Mon guide attire mon attention sur les traces violence des combats de ces trois dernières années à Ekona : « Vous pouvez voir les impacts de balles sur les murs des habitations…c’était grave en 2018 et tout le monde s’est enfui soit en brousse, soit dans les zones francophones, soit au Nigéria. Certains sont restés plus de six mois en brousse. D’autres y sont encore.  Toutes ces maisons étaient abandonnées. Il n’y avait personne. Parce que l’armée tirait sur tout ce qui bougeait pour riposter aux attaques des Ambazoniens. Maintenant ça a un peu diminué.» 
 
Effectivement, beaucoup d’habitations le long de la route portent des impacts de balles et restent inhabitées. Leurs propriétaires ne sont pas encore de retour. D’ailleurs les détachements du BIR ont élu domicile dans certaines de ces maisons abandonnées d’où ils mènent la garde. Mais mon « guide » ajoute tout de même : « c’est un moins risqué maintenant et quelques-uns sont revenus. »  La présence du BIR, là où elle est visible, de l’avis de mon guide,  donnerait même désormais un peu de répit aux populations locales souvent à la merci des incursions et rackets de milices à partir de leurs bases forestières. On ne sait plus qui est ambazonien et qui est voleur. Ces rackets sont souvent baptisés « effort de guerre »  ou « contribution to the struggle ». 
 
Mon « guide », qui travaillait dans un centre quasi-hospitalier, me fait aussi savoir qu’en pleine crise en 2018, alors que les villages se vidaient, des éléments du BIR ont fait irruption un matin dans leur centre de santé pour les avertir que s’ils les surprenaient en train de soigner un ambazonien, ils les tueraient tous. On compte 26 villages entièrement brulés dans la zone de Kumba. C’est la jeunesse de ces villages rasés, rongée par la rage de la vengeance,  qui grossirait les rangs des milices ambazonnienes. Bref, l’approche répressive tous azimuts de l’Etat Camerounais a non seulement fait naître mais a aussi fait grossir le monstre des milices locales. 
 
Mais tous mes interlocuteurs sont unanimes sur le fait que si les populations continuent de croire que la cause de la résistance est noble, le regard qu’elles portent désormais sur les milices ambazonnienes a quelque peu évolué négativement, du fait des exactions qu’elles subissent aujourd’hui. Certains villages se seraient même organisés pour les expulser de leur territoire. Il faut noter que l’armée a le contrôle des axes principaux et des grandes agglomérations, mais les milices ambazonniennes ont le contrôle de la périphérie, des villages, et donc de la majorité des populations. L’incursion sporadique de l’armée dans les villages est risquée. J’ai pu parler à des gens qui communiquent régulièrement avec les chefs de milices pour des besoins humanitaires.   Même les quelques organisations humanitaires qui s’aventurent dans les villages pour secourir les villageois et les déplacés internes doivent trouver une entente non seulement avec les autorités publiques mais aussi avec les leaders de milices ambazonniennes qui ont un réseau de communication plutôt bien huilé. Un moindre soupçon de connivence de part et d’autre peut vous coûter la vie. Les humanitaires de la région marchent donc constamment sur une corde raide.  
 
L’un des principaux ressorts de l’économie de la guerre reste la prise en otage des civils dont la libération n’est ensuite obtenue que contre de fortes rançons. Il suffit de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.  Les élites, y compris  des autorités religieuses, sont constamment harcelées par les milices ambazoniennes qui leur demandent de grosses sommes d’argent comme « effort de guerre ». Quand ils n’obtempèrent pas, les chefs de milice menacent de les enlever. Mais la galaxie ambazonnienne n’est pas la seule à harceler la population contre rançons, il y a aussi les arrestations arbitraires de la part de forces de sécurités qui raflent à volonté les civils pour ensuite monnayer la libération des concernés, surtout dans un contexte où le système judiciaire ne fonctionne presque plus. 
 
Les populations ont appris à survivre dangereusement, en reprenant timidement, par endroits, les travaux champêtres, à leurs risques et périls bien évidemment. Sur le trajet, on peut voir les plantations de la Cameroon Development Coorporation (CDC) abandonnées. On sait qu’au cœur de la crise, les employés qui s’entêtaient à travailler se faisaient amputer. Jadis, second employeur après l’Etat, aujourd’hui, la CDD n’est plus que l’ombre d’elle-même. Supermont, par contre, poursuit ses activités de captage et de distribution d’eau minérale, mais avec le soutien de l’armée qui assure la sécurité aussi bien du site de l’usine que de convois de camions de distribution en direction de Douala et du reste du Cameroun. Les produits de Brasseries du Cameroun réapparaissent, ici et là, après un temps de boycott. 
 
Quand vous demandez à savoir combien de personnes sont mortes depuis le début de la crise, on vous répond souvent « Beaucoup ! Beaucoup ! ». On sent des populations usées par la résistance dont le symbole reste encore la pratique assidue, bien que relâchée par endroits, de la ville morte du lundi. En effet, quand j’ai voulu savoir ce qui expliquait ce semblant d’apaisement ou de relâchement, tout au moins, sur les grands axes, mon guide m’a répondu : « les gens sont fatigués de tuer et d’être tués ».  On sent bien qu’autant les populations supportaient mal la main forte de l’armée, symbole du pouvoir hégémonique de Yaoundé, autant ils  supportent mal aujourd’hui les exactions de la galaxie ambazonienne. D’après les témoignages de certains, la mort récente d’un « général » ambazonnien de la zone qui terrorisait les populations aurait même réjoui plus d’un. Les gens souhaiterait retrouver une vie normale, mais pour la plupart, dans un état fédéral. L’idée d’un retour pur et simple au statut quo d’antan ne passe pas.
 
Mais comment en sortir ? Après l’échec de l’opération Désarmement, Démobilisation et Réhabilitation (DDR), lancer une opération de reconstruction avant la pacification, comme c’est le cas maintenant, c’est mettre la charrue avant les bœufs. C’est jeter des milliards à l’eau. Mais comment pacifier? L’armée est fatiguée ; les populations locales sont fatiguées ; même les milices ambazonniennes ne jouissent plus de la même autorité morale des débuts. C’est un moment favorable aux négociations de paix. La galaxie ambazonnienne ne fait pas confiance au régime de Yaoundé, d’où l’échec du DDR. Ils ne sortiront de la brousse pour des négociations de paix que s’il y a une troisième partie susceptible de garantir leur sécurité.  Les tentatives de médiation au niveau national ayant échoué, il ne reste qu’une médiation internationale. 
 
Ludovic Lado S