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Cameroun : Le Grand Nord et le pouvoir de Paul Biya, Par Guibai Gatama (Journal L’œil du Sahel)

Guibai Gatama

Incontestablement, Marafa Hamidou Yaya est le dernier homme politique originaire de régions septentrionales à s’être fixé le palais d’Etoudi comme objectif politique.

Avant son arrestation en avril 2012, puis sa lourde condamnation dans l’affaire de « l’acquisition d’un avion présidentiel » qui a achevé de le briser. l’ancien ministre d’Etat secrétaire général de la Présidence de la République tissait patiemment son réseau tout en polissant son image d’homme d’Etat. Et pas seulement dans les régions septentrionales. Même si, en raison de diverses contingences, ses prétentions politiques étaient diversement appréciées dans le Grand-Nord, il apparaissait clairement aux yeux de beaucoup comme celui qui dégageait le plus de désir de décrocher le Graal.

Depuis que le flamboyant prince de Garoua est juridiquement crucifié, l’ombre d’aucun prétendant à la magistrature suprême ne pointe à l’horizon dans les régions septentrionales, partie du pays au gisement électoral sans commune mesure.

Pour la présidentielle de 2018 par exemple, elle affichait au compteur 2,2 millions d’inscrits sur un total national de 6,6 millions. « Dans le contexte d’un scrutin présidentiel à un tour, la puissance politique du Grand-Nord est telle qu’il peut théoriquement s’entendre sur le choix d’un candidat, l’élire et lui trouver une place dans le train pour qu’il vienne prêter serment à Etoudi », plaisante Mouhamadou, militant de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp).

Une hypothèse envisageable, mais loin d’être pourtant plausible. Décryptage Chat échaudé craint l’eau froide, a-t-on coutume de dire. Les hommes politiques du Grand-Nord épousent-ils cet adage à la perfection ? Leur attitude, en tout cas, ne laisse pas de place au doute.

« En réalité, c’est depuis le putsch manqué de 1984 que la vieille garde politique nordiste qui tire encore les ficelles a renoncé à la conquête du pouvoir. Marafa Hamidou Yaya n’est qu’une exception, et le sort politique réservé à tous ceux soupçonnés à tort ou à raison d’en caresser le dessein est de nature à calmer les ardeurs des ambitieux. L’idée répandue ici, chez la majorité des entrepreneurs politiques, est qu’il est prudent d’accompagner l’ordre établi et cet ordre établi se résume à Paul Biya », analyse Hervé Glama, enseignant à Maroua et militant du Rdpc.

Le traumatisme historique n’explique cependant pas tout. La réalité politique en impose aussi. En fragmentant minutieusement le champ politique local tout en confiant ses clés à des hommes usés par le temps et à la popularité émiettée, l’actuel locataire du palais d’Etoudi a patiemment cultivé son jardin d’où peut difficilement germer aujourd’hui un grain de maïs.

« Je puis vous assurer que Paul Biya, en maintenant longtemps en poste les ministres et autres notables nordistes de son régime, les décrédibilise sciemment. Les gens clament aujourd’hui : surtout pas eux, alors surtout pas eux. Quant aux rares nouveaux venus sur la scène, ils sont encore sans expérience et n’ambitionnent au mieux qu’un confortable département ministériel. La stratégie du Président a le don de le garder au centre du jeu et d’obtenir des nordistes, faute de mieux, que le rôle de partenaires politiques inoffensifs, totalement inoffensifs », analyse pour sa part un député Rdpc de la région du Nord.

Lucides, les hommes politiques du Grand-Nord n’en tiennent pour autant pas rigueur au chef de l’Etat. « Qu’attend-t-on de lui avec la puissance démographique et électorale qui est la nôtre ? Lors de la dernière présidentielle, il a engrangé ici 1.199.507 voix sur un total de 2.521.934. Soit une contribution de 47,56 %. Bien sûr que tous les votants dans le Grand-Nord ne sont pas seulement des nordistes, mais au change, il y a bien plus de nordistes dans le reste du pays que nos frères et sœurs du Sud installés ici chez nous », concède Mouhamadou de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp). Et ce dernier de poursuivre : « Tout ceci pour vous dire que nous sommes une véritable bombe électorale. Ce que fait Paul Biya pour nous contenir est compréhensible et politiquement justifié, à partir du moment où pour lui, le Grand-Nord ne représente au fond qu’une seule entité politique. Il nous offre donc son plus beau sourire le jour et la nuit, il réfléchit à comment nous affaiblir politiquement. Il est tout simplement un bon politicien car après tout, il est toujours préférable d’avoir un allié politique faible, amoindri, qu’un partenaire fort, capable de modifier les règles du jeu en sa faveur ». Cette situation n’est, hélas, pas près de changer. En raison d’intérêts divers, il est évident que les notables politiques du Grand-Nord, toutes obédiences politiques confondues, ne sont pas encore psychologiquement disposés à réaliser le minimum de consensus autour de l’émergence d’un visage porteur de projet pour l’ensemble du pays.

« Notre génération, celle de Cavaye, Ayang, Dakolé, Garga, Tchiroma, Bello Bouba, Amadou Ali et autres ne peut pas réaliser cet exploit. Derrière nous, rien de sérieux ne germe encore et il faudra sans doute encore patienter de longues années pour dénicher l’oiseau rare. Mon avis est que la prochaine bataille pour décrocher le Graal n’enregistrera certainement pas au départ un sérieux candidat nordiste doté d’un potentiel électoral critique pour la victoire. Les Garga, il y en aura toujours pour trompeter au nom de tel ou tel autre parti ; dans le sillage de Cabral Libi, il y aura peut-être des jeunes nordistes qui feront tomber la chemise, mais un vrai candidat d’alternative capable d’allier le conservatisme des zones rurales à l’enthousiasme des zones urbaines, non. Mon souhait est qu’à défaut qu’un des nôtres puisse être fait roi, que nous travaillions à renforcer notre position de faiseurs de roi », affirme un ministre en fonction.

 

Guibai Gatama.