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Cameroun : Je propose que la participation à ce dialogue soit gratuite, c’est-à-dire sans per-diem

Le père Ludovic Lado soutient qu’il s’agit après tout d’un moment important de la vie nationale qui appelle un sens patriotique élevé, le sens du sacrifice, raison pour laquelle le dialogue doit être gratuit, c’est-à-dire sans per-diem.

Le prêtre jésuite vient d’envoyer un lettre ouverte au premier ministre chef de gouvernement, c’est à lui que revient la lourde responsabilité de présider le grand dialogue national convoqué le 10 septembre dernier par le chef de l’Etat.

Dans cette lettre intitulée « Attention à la dérive élitiste », le père Ludovic Lado observe avec beaucoup de méfiance le casting fait par le premier ministre dans le cadre de la préparation au dialogue. L’homme de Dieu a encore en mémoire la tripartie de 1991 qui, selon lui est l’une des sources lointaines de la crise anglophone actuelle.

237actu.com vous propose la lecture intégrale de la lettre du père Ludovic Lado adressée au premier ministre Joseph Dion Ngute

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Excellence Monsieur le Premier Ministre,

Dans le cadre de la préparation et de la tenue du Grand Dialogue National, quelle stratégie comptez-vous utiliser pour consulter la base, principalement les victimes de la crise anglophone qui depuis plus de trois ans portent la croix de l’irresponsabilité collective ? Voilà la question qui est au coeur de cette missive que je vous adresse à ce moment critique de l’histoire du Cameroun. M. le Premier Ministre, D’abord, vous permettrez qu’un curé se mêle de la politique. C’est tout simplement parce qu’il y va du bien commun qui par essence a une portée éthique.

Une politique sans éthique ne donne pas la vie mais engendre la mort. En effet, la Parole de Dieu nous demande de prier pour vous : « Bien-aimé, j’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. » (1Tm 2, 1-8).

Dans son discours historique du 10 septembre dernier, le Président de la République vous a confié une tâche tout aussi historique, celle de réussir le dialogue national que beaucoup appellent de tous leurs voeux depuis le début de la crise anglophone.

Je prie donc de tout mon cœur pour que ce dialogue réussisse et que, tous, nous « puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme » dans notre beau pays. Mais la prière ne suffit pas, et je voudrais, ici, en tant que citoyen camerounais, attirer votre attention sur un piège que ce dialogue doit absolument éviter pour réussir. Il s’agit du piège de la dérive élitiste, celle-là même qui est responsable du problème anglophone que l’on cherche à résoudre aujourd’hui.

A cette approche qui participe de la logique du centralisme étatique, il convient de substituer une approche par le bas, disons mieux par la base. M. le Premier Ministre, parlant de dérive élitiste, je tiens d’abord à saluer votre souci de procéder à une large consultation de toutes les forces vives du Cameroun avant la tenue dudit dialogue national.

Mais quand je scrute la liste des personnes que vous envisagez de consulter, elle a deux limites principales : d’une part elle est élitiste et, d’autre part, elle privilégie les perspectives francophones.

Au sujet des élites, autoproclamés d’ailleurs, je crains que ce ne soit, à quelques exceptions près, les mêmes qu’on recycle depuis quatre décennies et qui ont plongé le Cameroun dans la situation actuelle. Ils étaient à la fameuse Tripartite de 1991 et nous savons que l’une des sources lointaines de la crise anglophone actuelle est la non mise en œuvre de ses résolutions.

Les chefs religieux, les leaders traditionnels, les diplomates, les chefs de partis politiques, les délégations des régions, les leaders d’opinion, etc. constituent l’essentiel de ceux dont les avis vous intéressent. Mais qu’en est-il du baspeuple ? Croyez-vous vraiment que ces élites autoproclamées le représentent ? Vous commettriez une très grosse erreur en laissant cette race d’opportunistes qu’on appelle élites dominer le dialogue national.

D’ailleurs je propose que la participation à ce dialogue soit gratuite, c’est-à-dire sans per-diem. Il s’agit après tout d’un moment important de la vie nationale qui appelle un sens patriotique élevé, le sens du sacrifice. M. le Premier Ministre, venons- en maintenant à l’approche du dialogue national par le bas, par la base.

N’oublions pas que ce dialogue vise à résoudre le problème anglophone causé essentiellement par les élites, ces mêmes élites qui depuis trois ans ont échoué. Vous connaissez le bilan de cette crise : « 1 850 morts, 530 000 déplacés internes et des dizaines de milliers de réfugiés, dont 35 000 au Nigeria. » Quelles dispositions ont été prises pour que les voix, surtout les attentes, de ces victimes de la crise anglophone soient entendues au dialogue national ? Combien d’entre-elles participeront effectivement au dialogue et prendront la parole?

En effet, si vous souhaitez que ce dialogue contribue effectivement à guérir les blessures des anglophones, il doit leur donner la parole en premier.

L’approche élitiste court le risque de transformer le Grand Dialogue National en un forum francophone sur le problème anglophone. Ces élites autoproclamées qui, pour la plupart n’ont jamais mis pied dans les régions anglophones depuis le début de la crise, ne sauraient contribuer à trouver une solution durable au problème anglophone.

Si nous voulons résoudre ce problème, ayons, pour une fois, l’humilité de demander aux anglophones ce qu’ils veulent. Certains prônent la sécession et l’ont fait savoir par l’essor du mouvement ambazonien.

D’autres veulent un retour au fédéralisme et l’ont fait savoir dès le début de la crise lors des pourparlers avec les autorités gouvernementales D’autres encore pensent qu’une décentralisation effective suffirait à calmer la situation. Mais qui aura le dernier mot ? Dieu seul sait ! Ce qui est sûr est que derrière tous ces cas de figure il y a un besoin réel d’autonomie locale qu’il faut trouver le moyen de satisfaire effectivement.

En effet, il faut démanteler le centralisme étatique qui fait tout converger vers Yaoundé où trône une élite souvent insensible, vorace et arrogante. Les anglophones, et probablement la majorité des Camerounais de la base, n’en veulent plus. Désormais, ils veulent gérer eux-mêmes leurs propres affaires.

Le portail des camerounais de Belgique. Quoi de plus légitime ! Excellence, Monsieur le Premier Ministre, croyez-moi, tout dialogue national qui donnerait l’impression que les francophones vont décider de la solution au problème anglophone à la place des anglophones eux-mêmes est voué à l’échec.

C’est pour cela que l’échéance de la fin du mois de septembre me paraît irréaliste ; car pas susceptible de prendre en compte les préoccupations des victimes de la crise. Pourquoi ne pas prendre le temps qu’il faut pour bien faire ! Après tout si on a attendu trois ans pour enfin ouvrir la porte à un dialogue national, on peut prendre deux mois supplémentaires pour bien le préparer.

Au fond, M. le Premier Ministre, votre mission est impossible dans les délais qui vous ont été prescrits, mais puisque je suppose que vous êtes de bonne foi (ce qu’on appelle « préjugé favorable » dans la spiritualité jésuite), le miracle de la réconciliation du Cameroun anglophone et du Cameroun francophone reste possible.

En effet, si je me donne la peine de vous écrire, c’est parce que j’ai la foi en Dieu. Et la parole de Dieu nous dit que rien n’est impossible à Dieu ainsi qu’à ceux qui ont la foi (Lc 1, 37).

Je prie sincèrement pour le succès de votre divine mission.